Deux jours dans l’hiver

MONT-TREMBLANT – Lorsque nous sommes arrivés au pied du mont Blanc – non pas LE mont Blanc, mais bien l’autre à Saint-Faustin, P.Q. –, il y avait ce qu’on pouvait appeler une tempête hivernale, pas une grosse, une « tempette » disons : un vent froid soufflait la neige piquante en poudrerie, horizontalement. Nous avons pris nos billets, mis nos bottes, nous nous sommes couverts de pied en cap et nous sommes partis vers la remontée avec ces planches qui, comme nous, n’avaient pas skié alpin depuis deux ans.

Et up ! tout en haut de la chaise qu’on nous a recommandée pour attaquer la Yodel, une longue piste familiale de catégorie facile. Nous avons dû retrouver nos marques, le chasse-neige, le transfert de poids, le piquage, bon. Lentement. Les jeunes planchistes passaient vite autour de nous et il m’est apparu clair que les néophytes aux culottes baggies empruntent justement ce genre d’autoroutes pour acquérir de l’assurance et de la vitesse. Prudence donc.

Moi, le ski alpin, c’est pas ma tasse de thé ! Mais mon copain veut en faire, autant qu’il compte bien faire du ski de fond demain.

Les petits rappels s’imposent : le plus important, en ski, c’est pas de savoir glisser mais bien de pouvoir freiner. Comme en auto, en vélo, en n’importe quoi, ce qui compte avant tout, c’est de rester en vie et en bonne santé. Alors on refait le chasse-neige qui nous brûle les cuisses, technique d’autant plus éreintante que la croûte glacée est dénudée par le vent dans les sections plus pentues ; il en résulte une succession de textures : il faut appuyer sur les carres pour mordre dans la glace et, dans le même instant, « lever le pied » pour ne pas s’enfarger dans un monticule de poudreuse. Glisse syncopée et angoissante qui me fait dire mentalement, à toutes les trois secondes, wouppelaye là ! L’exercice est compliqué par le fait que, dans la pénombre croissante de l’après-midi, l’état des lieux manque de clarté, mais il faut garder les goggles pour ne pas se faire picorer les yeux par les cristaux acérés qui, déjà, martyrisent le moindre centimètre carré de peau exposé à l’air.

Je suis déjà un peu lassé de ce sport lorsque nous achevons la première descente.

Mon copain pense comme moi : nous ne résisterons pas très longtemps dans ces conditions et nous n’en ferons pas un concours. Deuxième remontée : notre compagnon de chaise est un planchiste masqué. Il nous explique qu’il habite en banlieue de Londres, ce que j’ai deviné dès le premier complément d’objet direct tant son accent cockney est à trancher au couteau. Mon copain se contorsionne les tympans pour s’y retrouver et il use de ces réponses brèves dont il a le secret : yes, no, I like to ski

La deuxième descente, toujours dans l’élémentaire Yodel, nous confirme dans nos soupçons : nous n’en voulons pas une troisième ! Vivement à l’auto, on met le chauffage au boutte et on file vers notre motel – Le Boisé du Lac – où nous attend un bain tourbillon dans la chambre.

Je dois ici annoncer l’interruption des activités de mon motel de toujours dans la région de Tremblant, le Motel Saint-Jovite. Le vrai hébergement classique du genre. Au fil des décennies, le prix d’une chambre pour la nuit est passé de 25 $ à 55 $. Tout y était défraîchi – les tapis, les rideaux, la douche, les tables de chevet – mais quand même propre ; tévé en couleurs ; bien chauffé. La réception était moyenâgeuse : console téléphonique inchangée depuis la Deuxième Guerre mondiale, salle à manger lourdement meublée laissée à l’abandon, castonguette mécanique pour les paiements par carte de crédit, rideau de velours bourgogne pour dissimuler aux regards des clients les quartiers privés des proprios, et la proprio elle-même, pâle et antique, que je soupçonnais de garder un long couteau à sa portée, au cas où… Il y avait là, croyez-moi, une ambiance de Psycho qui eût pu troubler un esprit fragile, ce qui n’est heureusement pas mon cas, moi dont la marotte est « Il n’y a qu’un danger ici, et c’est moi ! » Alors voilà, une véritable institution, le motel Saint-Jovite a cessé ses activités juste avant Noël et il est maintenant à vendre, ou plutôt c’est le domaine sur lequel il repose qui est à vendre, pour un peu moins de trois millions.

C’est donc sur l’auroute de l’information – curieux comme cette expression a disparu de notre vocabulaire ! – que j’ai trouvé le motel Boisé du Lac, d’un calibre nettement supérieur à celui du motel Saint-Jovite, pas mal plus cher aussi, mais sans commune mesure avec l’exorbitant clinquant de Tremblant, là où je confesse aller quand la romancière du foyer est du voyage. Mais seul ou avec un copain, c’est toujours le petit motel cheap, ici, à Goa ou dans le sud de la France. J’aime les motels cheaps, le char stationné juste à la porte ou, selon la saison, le vélo carrément dans la chambre.

Après cette parenthèse et un bon petit déjeuner avec vue sur le lac en question, mon copain et moi avons pris le chemin du Parc national du Mont-Tremblant. Il faisait un frisquet -26° C. et un soleil étincelant quand nous nous sommes mis en route.

Mon copain ne pensait pas beaucoup au froid. Moi, je me disais qu’on a toujours du mal à avancer lorsqu’on applique du fart polaire sous les skis : les cristaux piquent la cire comme des dagues et rendent la glisse laborieuse.

À l’accueil du lac Monroe, je constate que j’ai oublié à la maison le coffre de pêche de mon père recyclé – le coffre, je veux dire – en atelier de fart portable. Plutôt que d’acheter le bâton de cire, le racloir et le liège et peiner pour préparer nos skis, je confie cette tâche au technicien de service qui va nous faire un travail de pro. Et nous partons tip-top, semellés de cire verte, ce qui annonce une belle glisse.

Il fait autour de -20° C., ce qui est une température parfaite pour la pratique du ski de fond. La forêt nous protège du vent et encadre l’acte sportif d’une intimité complice. Pour peu qu’on avance à son rythme, c’est le pied.

Après avoir contourné le lac Monroe, nous laissons la brise glaciale derrière nous et suivons le sentier Le Lièvre, parfait pour notre mise en train avec ses 7,9 km. Ça va tellement bien, la magie est telle qu’au premier carrefour, mon copain essaie de me convaincre d’y aller pour une distance plus grande, L’Ours, tiens, qui fait 16,9 km. Prends ça cool, que je lui dis, si nous en voulons davantage, nous pourrons toujours attaquer une autre boucle plus tard.

Nous faisons une halte au refuge de La Renardière, à 2,5 km de l’arrivée. L’endroit est vide lorsque nous y parvenons, mais il y a de belles bûches qui grésillent dans le poêle à bois. C’est un grand refuge et il y a des échelles qui grimpent vers les couchettes surplombant cet espace rustique. Mon ami y va jeter un coup d’oeil et conclut : je veux revenir ici pour y passer la nuit. Moi, je veux bien, mais c’est une toute autre logistique. Va falloir t’entraîner à porter des bagages, mon vieux…

Dans l’heure qui suit, nous sommes de retour à la voiture. Mon copain n’en redemande plus, il est fatigué juste ce qu’il faut, mais enthousiaste, manifestement heureux de cette virée hivernale en forêt. Ce qui l’incite à passer aux aveux :

« Pôpa, me dit-il avant même d’avoir libéré ses bottines des fixations, j’aime ça le ski de fond ! »

Vous dire le plaisir que mon copain m’a fait en me disant ça…

La forêt tient les fondeurs à l’abri des morsures du vent. Le bonheur de la glisse au parc national du Mont-Tremblant. PHOTO RICHARD CHARTIER

4 commentaires sur « Deux jours dans l’hiver »

  1. Cher Richard,

    Campagnarde de la région de Québec, je reviens tout juste de cette région du Mont Tremblant. Maudit que c’est loin! Et sauvage! Et plein de routes glacées qui tournoient sans cesse.

    Dire que je n’ai que 10 minutes de voiture à faire pour me retrouver au centre de ski de fond où je suis abonnée, où je fais régulièrement mes 10-12 km de belle glisse le long de la rivière qui roucoule quel que soit le degré au mercure. Quelle chance j’ai!

  2. Que de précieux souvenirs tu graves à jamais dans l’esprit et le coeur de ton copain,, mon Richard.

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